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Cuba eldorado du plaisir
Cuba eldorado plaisir
 
Les «jineteras» (cavalières) qui s’offrent devant les hôtels
ou dans les discothèques ont l’espoir
qu’une rencontre changera leur destin.
Mais le destin a la peau dure…

Elles s’appellent Eva, Poline, Lucie...
Ce peut être une baigneuse qui vous demande l’heure à la plage, une étudiante rencontrée à un concert de salsa.
A Cuba, la prostitution offre cent visages, mais ne dit pas son nom.

Jinetera, dérivé de l’espagnol jineta (cavalière), évoque l’équitation ou la danse.

Plus largement, jineterismo signifie «débrouille» et recouvre l’ensemble des trafics
permettant d’améliorer le quotidien.

Du temps de Batista, l’île passait pour être un bordel flottant,
et l’industrie dusexe avait ses hauts lieux: la Rampa,
entre l’hôtel Hilton, devenu hôtel Habana Libre, et le quartier du Vedado,
avec ses maisons rococo et ses hôtels particuliers de marbre.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui, ni à La Havane ni dans les autres villes.



A son arrivée au pouvoir, le régime castriste ferma les maisons closes, les boîtes, les bars spécialisés,
et la prostitution disparut quasiment... jusqu’à l’ouverture du pays au tourisme international.
Désormais, après la Thaïlande et les Philippines, Cuba offrait un rapport qualité-prix imbattable,
et des charters d’hommes venus en majorité d’Italie, d’Espagne et du Canada se ruèrent sur l’aubaine.

Avec en prime le daiquiri de Papa Hemingway,
un séjour sur les plages de Varadero, quelques boîtes de cigares et l’indispensable tee-shirt Che Guevara.
Fin 1998 et début 1999, le gouvernement cubain a tenté d’y mettre le holà
en opérant de vastes rafles et en renvoyant des milliers de filles et de femmes dans leurs provinces.
Mais ces mesures n’ont pas suffi.

Nettement plus discrètes qu’auparavant, des jineteras continuent à jouer les auto-stoppeuses sur le Malecon,
l’immense boulevard qui longe le littoral, ou sous les palmiers de l’avenue No5, dans le quartier résidentiel de Miramar.
La nuit, elles se pressent à l’entrée ou à l’intérieur des discothèques, à l’affût du touriste solitaire.

La majorité d’entre elles sont des occasionnelles et ont une autre profession,
quand elles ne sont pas chômeuses, étudiantes, ou collégiennes. Certaines ont un mari et une famille,
d’autres sont divorcées, avec souvent un enfant à charge.

Elles peuvent être originaires de la ville ou de la campagne, issues de milieux défavorisés ou de la classe moyenne, diplômées d’études supérieures ou non. Beaucoup sont métisses ou noires; quelques-unes blanches.

Leur tarif est extrêmement variable : de 30 à 100 dollars
sachant que 50 dollars représentent environ
trois mois d’un salaire moyen.


A Cuba, la notion de professionnelle dusexe est quasiment inconnue.
La prostitution est illégale et sanctionnée de lourdes peines;
aborder un étranger dans la rue est passible de plusieurs jours de prison.
Elle ne peut donc être que clandestine.
Cet amateurisme crée une ambiguïté dont les deux parties s’accommodent.
D’un côté, elle ménage l’ego du consommateur,
qui se persuade aisément de n’avoir pas affaire à une péripatéticienne ordinaire;
de l’autre, elle fournit un alibi à la fois moral et social aux intéressées.
Que le commerce sexuel ne soit pas concentré dans certaines rues chaudes tend à le banaliser.
Au même titre que les vendeurs de cigares à la sauvette et les musiciens joueurs de rengaines,
ces belles de nuit font partie du décor tropical. Des médecins se font bien liftiers;
des professeurs de langues, guides pour touristes; des ingénieurs, chauffeurs de taxi.
Elles aussi se débrouillent, à leur manière.
Au début des années 90, le tarissement de l’aide fournie par l’URSS, joint au blocus maintenu par les Américains,
a fait basculer le pays dans une économie de survie.
Se nourrir étant devenu l’objectif premier des Cubains, le commerce sexuel a explosé.

Il mobilise aujourd’hui à temps partiel un grand nombre de femmes,
mais aussi d’hommes qui proposent leurs services aux dames étrangères et aux homosexuels.
Tous justifient leur comportement par le contexte de crise
(la fameuse «Période spéciale en temps de paix», ainsi que l’a définie Castro)
et n’éprouvent aucune honte à se désigner eux-mêmes comme jineteros ou jineteras.

Cette évolution a été d’autant plus facile que les mœurs sont assez souples (surtout chez les jeunes),
la politisation de plus en plus faible, le chômage de plus en plus fort.
A quoi il faut ajouter la «dollarisation» de l’économie cubaine.
Jusqu’en 1993, il était formellement interdit aux Cubains de conserver des devises américaines.
S’ils en recevaient de parents de Miami ou d’un étranger locataire d’une chambre, ils devaient aussitôt les convertir.
Mais aujourd’hui, le dollar est pratiquement devenue la monnaie de référence,
et alors que l’immense majorité des Cubains restent payés en pesos,
beaucoup de biens et de denrées alimentaires ne peuvent s’acquérir qu’en échange de dollars.
Sauf à se contenter de riz et de haricots à tous les repas,
il faut des billets verts. Même les médicaments et les soins médicaux de qualité ne s’obtiennent qu’ainsi.

Sachant que le salaire mensuel moyen en pesos, une fois converti en dollars,
ne permet pas de s’offrir une paire de chaussures, et que les jeunes, comme partout,
veulent les jeans, les baskets et les tee-shirts qu’ils voient à la télévision,
on imagine le casse-tête quotidien du Cubain moyen.

Pour le résoudre s’est mis en place un circuit parallèle d’argent au noir,
alimenté par le détournement des biens d’Etat – tout ce qui a un peu de valeur lui appartient
et le «jinéterisme» dans son acception la plus large.

Les effets de la pénurie sur les scrupules moraux ont été observés ailleurs dans le monde.
La façon dont ils se manifestent diffère selon le degré de liberté des mœurs.
Dans une excellente étude sur «la Prostitution à Cuba» (l’Harmattan),
Sami Tchak note que le mâle occidental, venu d’un pays où libération sexuelle
ne rime pas forcément avec satisfaction,
a l’impression en débarquant à La Havane de découvrir l’eldorado du plaisir.

Impression confirmée par les Cubains – on trouve le même discours au Brésil
qui répètent à l’infini que leurs femmes sont les plus belles, les plus douces,
les plus câlines, les plus sensuelles, etc.

De telles considérations sont généralement étrangères à la prostitution sous nos latitudes,
où elle se réduit le plus souvent à l’offre de plaisirs tarifés au maximum de clients possibles.
A Cuba, l’optique est différente. Beaucoup de jineteras souhaitent une liaison durable.
En échange d’une aide matérielle, elles serviront à l’étranger d’accompagnatrice,
de guide et de concubine pour la durée de son séjour. Le présenteront le cas échéant à leur famille,
feront avec lui tout ce que peuvent faire deux personnes qui se sont rencontrées en vacances.
Engageront une sorte de flirt qui s’apparente plus à la courtisanerie
qu’à la prostitution pure et dure. Se comporteront en amantes.

Si l’Occidental est favorisé sur le plan financier, il ne l’est pas forcément sur les autres plans.
Lorsqu’un fond de naïveté se mêle à un besoin de tendresse – disons plus simplement : lorsqu’il s’amourache
– le touriste a du souci à se faire. Dans les rues de la Vieille Havane,
on croise parfois des hommes mûrs tenant la main d’une Cubaine en âge d’être leur fille.
Plus tard, on les retrouve dînant sur une terrasse du Barrio Chino ou dansant tendrement enlacés au son d’un orchestre.
Au son des inévitables «Guantanamera» et autres «Lagrimas negras»,
les Havanaises le persuaderont aisément qu’il est en train de vivre l’histoire la plus romantique de sa vie, et lui s’autojustifiera en se disant qu’il arrache une malheureuse à sa détresse.
C’est ainsi qu’au bout de quelque temps – un second voyage, ou peut-être un troisième,
est souvent nécessaire pour entériner la décision
– , certaines romances se concluent par un mariage.
Le monsieur oublie qu’il s’est offert une épouse plus sensible à son pouvoir d’achat
qu’au charme de ses tempes grises. L’élue, tout heureuse d’avoir décroché le gros lot, redouble d’attentions.
Et les voilà lancés, bras dessus bras dessous, dans une aventure conjugale pleine d’inconnu.
L’époux n’a-t-il pas bluffé sur sa situation véritable ?
L’épouse s’adaptera-t-elle à sa nouvelle existence?
La neige canadienne ou la grisaille européenne ne vont-elles pas la déprimer?
L’avenir le dira souvent plus vite que prévu.